Cet ouvrage a pour principal objectif de montrer que la ville peut être considérée comme essence de l’utopie. En effet, si l’on regarde de près les différentes utopies sociales, force est de constater que ce sont avant tout des utopies urbaines. Les penseurs à l’origine des utopies ont tenté, dans une très large mesure, d’organiser rationnellement la vie sociale à travers le référentiel spatial urbain. Voir dans les utopies sociales des utopies urbaines, c’est en fait montrer combien l’utopiste commute, transformant les rapports sociaux (les usages) en rapports spatiaux (en plans, en maquettes).
De l’Antiquité à nos jours, les utopistes ont échafaudé des modèles de cités idéales dans lesquels ils ont projeté leurs conceptions du beau et du bon, de l’équilibre et du vertueux, de l’harmonie architecturale et de la justice sociale, de la cohérence urbanistique et de l’ordre social. Ces penseurs, qu’ils soient philosophes, architectes indépendants ou conseillers du prince, n’ont eu de cesse de croire que les formes architecturales et les cadres urbanistiques possèdent cette faculté de changer les hommes (de les rendre plus vertueux), de changer la vie (de rendre le monde plus harmonieux).
Pour la grande majorité des praticiens de la ville d’aujourd’hui, fabriquer de la ville reste avant tout une activité dominée par l’esprit : produire de la ville, c’est surtout projeter de la pensée dans la morphologie, les structures et le bâti. L’idéalité est ainsi posée comme fondement de l’édification et de l’agencement de la matérialité. Celle-ci, une fois installée, rend alors compte de l’essence et de la substance de celle-là. Les projets urbanistiques et architecturaux proposés et réalisés aux quatre coins de la planète, qui tentent entre autres aujourd’hui de réconcilier la ville avec la nature, montrent combien ils sont véritablement pensés et fondés sur une assise utopique au sens large. D’une façon générale, si la ville apporte beaucoup à l’utopie en termes de matérialité, l’utopie apporte beaucoup à la ville en termes d’idéalité, tel un processus circulaire et dialectique. Aussi la ville peut-elle être considérée comme la forme paradigmatique de l’utopie. Les rhétoriques utopiques, qui dessinent les contours de la vie sociale dans un cadre urbain, se confondent avec les discours urbanistiques. Dans ce sens, parler d’utopie urbaine ne relève-t-il pas du pléonasme ?