Cet enseignement vise à montrer que de tout temps, de l’Antiquité à nos jours, les hommes ont échafaudé des projets de cités idéales dans lesquels ils projetaient leurs conceptions du beau et du bon, de l’équilibre et du vertueux, de l’harmonie architecturale et de la justice sociale, et de la cohérence urbanistique et de l’ordre social. Les penseurs, qu’ils soient philosophes et architectes indépendants ou conseillers du prince, n’ont eu de cesse de croire – et encore à l’heure actuelle – que les formes architecturales et les cadres urbanistiques possèdent cette faculté de changer les hommes – i.e. de les rendre plus vertueux –, de changer la vie – i.e. de rendre le monde plus affable. Mais il existe un paradoxe qui réside dans le fait que les hommes imaginant ces cités idéales sont convaincus que l’ensemble des individus adhèreront à leur projet : la liberté de choisir est, dans bien des cas, bannie. Alors, n’oublions pas que l’utopie possède deux visages, tel Janus : un visage positif, prônant une société plus équitable et conviviale, plus bienveillante et altruiste, et un autre négatif, déployant un projet oppressif, assujettissant et uniformisant.
Public concerné
Cet enseignement s’adresse aux étudiants de sociologie de deuxième année de Master Recherche – Spécialité : DS-IIU.
Organisation
Cours magistral de 17h intégré in l’UE 904 b1 – EC2 du M2 DS-IIU (2 à 3 heures hebdomadaires au premier semestre).
Bibliographie
– Cabet (É.), Voyage en Icarie, Paris, Anthropos, 1970.
– Campanella (T.), La Cité du soleil, Traduction française par A. Tripet, Genève, Librairie Droz, 1972.
– Choay (F.), L’urbanisme : utopies et réalités. Une anthologie, Paris, Points-Seuil, 1965.
– Debout (S.), L’utopie de Charles Fourier, Paris, Les Presses du réel, 1998.
– Eaton (R.), Cités idéales, Anvers, Biblio. des Amis du Fonds Mercator, 2001.
– Friedman (Y.), Utopies réalisables, Paris-Tel-Aviv, Éd. De l’Éclat, 2008.
– Lapouge (G.), Utopie et civilisations, Paris, Albin Michel, 1990.
– Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Éd. Arthaud, 1980.
– Le Corbusier, La Charte d’Athènes, Paris, Points-Seuil, 1957.
– Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Éd. Arthaud, 1990.
– Maumi (C.), Usonia ou le mythe de la ville-nature américaine, Paris, Éd. de la Villette, 2008.
– Moncan (de) (P.), Villes rêvées, Paris, Éd. du Mécène, 1998.
– More (T.), L’utopie ou le traité de la meilleure forme de gouvernement, Genève, Librairie Droz, 1983.
– Platon, La République, Paris, Tel-Gallimard, 1992.
– Rabelais (F.), Pantagruel (1532) & Gargantua (1534), Paris, Folio-Gallimard, 1976.
– Riot-Sarcey (M.), Dictionnaire des utopies, Paris, Larousse-in extenso, 2007.
– Servier (J.), L’utopie, Paris, PUF-QSJ ?, 1993.
– Stébé (J.-M.), Le logement social en France, Paris, PUF-QSJ ?, 2013.
– Stébé (J.-M.), Qu’est-ce qu’une utopie ?, Paris, Vrin, 2011.
– Vercelloni (V.), La cité idéale en Occident, Paris, Éd. du Félin, 1996.
– Voltaire, Candide (1752), Paris, Folio-Gallimard.
– Wunenburger (J.-J.), L’utopie ou la crise de l’imaginaire, Paris, Éd. J.-P. Delarge, 1979.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, en 2008, la part de la population mondiale demeurant dans des agglomérations urbaines a dépassé celle de la population résidant dans les zones rurales. Désormais, plus de 3,7 milliards d’êtres humains habitent un espace urbain. Derrière ce chiffre se trouvent 4 tendances de fond qui redessinent les contours de la ville traditionnelle. La première tendance consiste en un étalement urbain indissociable de la formation d’un espace périurbain pavillonnaire. La seconde réside dans l’inclusion des grandes métropoles au sein d’un réseau urbain planétaire. La troisième tendance est l’intégration des villes dans le processus d’urbanisation mondiale. La quatrième réside dans une fragmentation de plus en plus marquée des territoires urbains et périurbains.
Public concerné
Cet enseignement s’adresse aux étudiants de sociologie de deuxième année de Master Recherche – Spécialité : DS-IIU.
Organisation
Cours magistral de 17h intégré in l’UE 902 – EC2 du M2 DS-IIU (2 à 3 heures hebdomadaires au premier semestre).
Bibliographie
– Allemand (S.) et Ruano-Borbalan (J.-C.), La mondialisation, Paris, Le Cavalier Bleu, 2008.
– Ascher (F.), Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, O. Jacob, 1995.
– Augé (M.), Non-lieux, Paris, Seuil, 1992.
– Bassand (M.), Cités, villes, métropoles. Le changement irréversible de la ville, Lausanne, PPUR, 2007.
– Bauman (Z.), Le Coût humain de la mondialisation, Paris, Hachette, 1999.
– Beck Ulrich, Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2009.
– Cailly (L.), « Périurbain », in Lévy (J.), Lussault (M.) (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003.
– Calvino (I.), Les Villes invisibles, Paris, Seuil, 1996.
– Cartier (M.) et al., La France des « petits-moyens, Paris, La Découverte, 2008.
– Charmes (É), La Vie périurbaine face à la menace des gated communities, Paris, L’Harmattan, 2005.
– Charmes (É.), La Ville émiettée, Paris, PUF, 2011.
– Collectif, « Les villes mondiales », Questions internationales, 60 (La Documentation française), 2013.
– Dibie (P.), Le Village métamorphosé, Paris, Plon, 2006.
– Dollfus (O.), La Mondialisation, Paris, Presses de Sciences Po., 1997.
– Dorier-Apprill (É.) et al., Vies citadines, Paris, Belin, 2007.
– Dubois-Taine (D.) et Chalas (Y.), La Ville émergente, La Tour d’Aigues, Éd. de L’Aube, 1997.
– Lefebvre (H.), La Révolution urbaine, Paris, Gallimard, 1970.
– Le Galès (P.), Le Retour des villes européennes, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
– Lévy (J.), « Mondialisation des villes », in Stébé (J.-M.), Marchal (H.) (dir.), Traité sur la ville, Paris, PUF, 2009.
– Lussault (M.), De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009.
– Lussault (M.), L’Homme spatial, Paris, Le Seuil, 2007.
– Lussault (M.), « Urbain mondialisé », in Stébé (J.-M.), Marchal (H.) (dir.), Traité sur la ville, Paris, PUF, 2009.
– Marchal (H.) et Stébé (J.-M.), Les grandes questions sur la ville et l’urbain, Paris, PUF, 2014
– Marchal (H.) et Stébé (J.-M.), Les lieux des banlieues, Paris, Le Cavalier Bleu, 2012.
– Mongin (O.), La Ville des flux. L’envers et l’endroit de la mondialisation urbaine, Paris, Fayard, 2013
– Mongin (O.), La Condition urbaine. La ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Seuil, 2005.
– Mumford (L.), La cité à travers l’histoire, Paris, Seuil, 1964.
– Paquot (T.), Homo urbanus, Paris, Éd. du Félin, 1990.
– Raymond (H.) et al., L’Habitat pavillonnaire, Paris, L’Harmattan, 2001.
– Sassen (S.), La Ville globale. New York, Londres, Tokyo, Paris, Descartes & Cie, 1996.
– Stébé (J.-M.) et Marchal (H.), « La multiplication des centralités à l’heure de la périurbanisation », L’Année sociologique, vol. 65/1, 2015.
– Stébé (J.-M.) et Marchal (H.), Sociologie urbaine, Paris, A. Colin, 2010.
– Urry (J.), Sociologie des mobilités. Une nouvelle frontière pour la sociologie ?, Paris, A. Colin, 2005.
– Veltz (P.), Mondialisation, villes et territoires. L’économie d’archipel, Paris, PUF, 1996.
– Virilio (P.), Cybermonde, la politique du pire, Paris, Textuel, 1996.
L’interaction au centre des sociologies contemporaines (CM)
Thématique
Depuis quelques années, la notion d’interaction est devenue centrale dans les sciences humaines et sociales et surtout en sociologie. Ne se superposant pas à des concepts antérieurs, elle représente plus fondamentalement une nouvelle orientation de recherche. En effet, comprendre les phénomènes sociaux à partir des interactions sociales, signifie que nous situons l’unité de base de l’analyse sociale, non pas au niveau de l’individu ou de l’action individuelle, mais à celui de ce qui se passe entre les individus, c’est-à-dire le système formé par l’ensemble des actions qui, dans un certain contexte, se répondent les unes les autres pour engendrer une situation, une réalité à observer et à analyser.
Ce cours vise à montrer que l’interaction sociale est un processus de communication interpersonnelle qui a donné lieu, en philosophie, en sociologie, en psychologie, à des formalisations, des interprétations et des analyses foisonnantes et de plus en plus complexes. En outre, il a pour objectif de mettre en évidence que l’interaction sociale est un processus dynamique, sous-tendu par des motivations, des « jeux » et des stratégies relationnelles et identitaires.
Public concerné
Cet enseignement s’adresse aux étudiants de sociologie de première année de Master.
Organisation
Cours magistral de 25h intégré in l’UE 701 du M1 de sociologie (2 heures hebdomadaires les mardis de 14h00 à 16h00 au premier semestre).
Bibliographie
– Alberoni (F.), L’Amitié, Paris, Ramsay, 1985.
– Anzieu (D.) et Martin (J.-Y.), La Dynamique des groupes restreints, Paris, PUF, 1982.
– Austin (J.-L.), Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970.
– Berger (P.) et Luckmann (T.), La Construction sociale de la réalité, Paris, A. Colin, 2006.
– Bromberg (M.) et Trognon (A.) (dir.), Psychologie sociale et communication, Paris, Dunod, 2004.
– Caplow (T.), Deux contre un, Paris, A. Colin, 1971.
– Cosnier (J.) et Brossard (A.) (éd.), La Communication non verbale, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1984.
– Corcuff (P.), Les Nouvelles sociologies, Paris, Nathan, 1985.
– Coulon (A.), L’Ethnométhodologie, Paris, PUF, 1990.
– Crozier (M.) et Friedberg (E.), L’Acteur et le système, Paris, Seuil, 1977.
– De Queiroz (J.-M.) et Ziotkowski (M.), L’Interactionnisme symbolique, Rennes, PUR, 1997.
– Friedberg (E.), « L’Analyse sociologique des organisations », Pour, 28, 1988.
– Ghiglione (R.), L’Homme communiquant, Paris, A. Colin, 1986.
– Goffman (E.), Les Cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991.
– Goffman (E.), Façons de parler, Paris, Minuit, 1987.
– Goffman (E.), Les Rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974.
– Goffman (E.), La Mise en scène de la vie quotidienne, 2 tomes, Paris, Minuit, 1973.
– Grice (H. P.), « Logique et conversation », Communications, 30, 1979.
– Hall (E.T.), La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1971.
– Hall (E. T.), Le langage silencieux, Paris, Seuil, 1984.
– Joseph (I.), Erving Goffman et la microsociologie, Paris, PUF, 2003.
– Le Breton (D.), L’Interactionnisme symbolique, Paris, PUF, 2004.
– Maisonneuve (J.), Introduction à la psychosociologie, Paris, PUF, 1997.
– Marc (É.) et Picard (D.), L’Interaction sociale, Paris, PUF, 1989.
– Moscovici (S.) (dir.), Psychologie sociale, Paris, PUF, 1984.
– Moser (G.), Les Relations interpersonnelles, Paris, PUF, 1994.
– Nizet (J.) et Rigaux (N.), La Sociologie de Erving Goffman, Paris, La Découverte, 2005.
– Renard (J.-B.), Rumeurs et légendes urbaines, Paris, PUF, 1999.
– Sfez (L.) (dir.), Dictionnaire critique de la communication, Paris, PUF, 1993.
– Sperber (D.) et Wilson (D.), La Pertinence : communication et cognition, Paris, Éd. de Minuit, 1989.
– Stébé (J.-M.), Risques et enjeux de l’interaction sociale, Paris, Lavoisier, 2008.
– Stébé (J.-M.), La médiation dans les banlieues sensibles, Paris, PUF, 2005.
– Strauss A., Miroirs et masques, Paris, Métailié, 1992.
– Watzlawick (P.) et al., Une Logique de la communication, Paris, Seuil, 1972.
– Winkin (Y.), Anthropologie de la communication, Paris, Seuil, 2001.
– Winkin (Y.) (éd.), La Nouvelle communication, Paris, Seuil, 1981.
Après avoir analysé les deux formes historiques traditionnelles du ghetto, entendons le ghetto juif et le ghetto noir américain, le cours se propose de revenir sur un ensemble de situations à travers les villes du monde qui donnent à voir les différents processus de ghettoïsation. Qu’il s’agisse des gated communities américaines, des « beaux quartiers » des centres-villes historiques, des bidonvilles des mégalopoles du sud, des cités HLM des banlieues des villes françaises, partout des formes d’enfermement socio-économique, aussi bien par le haut que par le bas, se dessinent. Cela étant dit, parce que cette notion de « ghetto » ne va pas de soi, le cours retiendra davantage le concept de ghettoïsation que la notion de ghetto.
Public concerné
Cet enseignement s’adresse aux étudiants de sociologie de deuxième année de Licence
Organisation
Cours magistral (20h00) et TD (5h00) intégrés in l’UE-FD-3.3b – EC3 de la L2 de sociologie (2 heures hebdomadaires les mercredis de 10h00 à 12h00 au premier semestre).
Bibliographie
– Avenel (C.), Sociologie des « quartiers sensibles », Paris, A. Colin, 2004.
– Bidou-Zachariasen (C.), Retours en ville, Paris, Descartes & Cie, 2003.
– Body-Gendrot (S.), Ville et violence, Paris, PUF, 1995.
– Charmes (E.), La vie périurbaine face à la menace desGated Communities, Paris, L’Harmattan, 2005.
– Clerval (A.), Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013.
– Collet (A.), Rester bourgeois. Les quartiers populaires, nouveaux chantiers de la distinction, Paris, La Découverte, 2015.
– Corbillé (S.), Paris Bourgeoise, Paris Bohème. La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013.
– Davis (M.), Le pire des mondes possibles, Paris, La Découverte, 2006.
– Debray (R.), Éloge des frontières, Paris, Gallimard, 2010.
– Donzelot (J.), Jaillet (M.-C.) et al., La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation, Esprit, 303, 2004 (p. 7-163).
– Grafmeyer (Y.) et Joseph (I.), L’École de Chicago, Paris, Flammarion, 2004.
– Lagrange (H.) (dir.), L’épreuve des inégalités, Paris, PUF, 2006 (Contribution de É. Préteceille : p. 195-246).
– Lapeyronnie (D.), Ghetto urbain, Paris, R. Laffont, 2008.
– Lefebvre (H.), Le droit à la ville, Paris, Seuil, 1974.
– Lefebvre (H.), La Révolution urbaine, Paris, Gallimard, 1970
– Marchal (H.), La diversité en France : impératif ou idéal ?, Paris, Ellipses, 2010.
– Marchal (H.) et Stébé (J.-M.), Les lieux des banlieues, Paris, Le Cavalier Bleu, 2012.
– Marchal (H.) et Stébé (J.-M.), La ville au risque du ghetto, Paris, Lavoisier, 2010.
– Maurin (É.), Le ghetto français, Paris, Seuil, 2004.
– Mongin (O.), La condition urbaine, Paris, Seuil, 2005.
– Mumford (L.), La cité à travers l’histoire, Paris, Le Seuil, 1964.
– Paquot (T.), Ghettos de riches, Paris, Perrin, 2009.
– Pinçon (M.), Pinçon-Charlot (M.), Sociologie de la bourgeoisie, Paris, La Découverte, repères, 2007.
– Pinçon (M.), Pinçon-Charlot (M.), Sociologie de Paris, Paris, La Découverte, Repères, 2004.
– Pinçon (M.) et Pinçon-Charlot (M.), Dans les beaux quartiers, Paris, Seuil, 1989.
– Raymond (H.) et al.,L’habitat pavillonnaire, Paris, L’Harmattan, 2001.
– Roncayolo (M.), La ville et ses territoires, Paris, Gallimard, 1997.
– Secchi (B.), La ville des riches et la ville des pauvres, Genève, Métis Presses, 2015.
– Stébé (J.-M.), La crise des banlieues, Paris, PUF, QSJ ?, 2010 (4e éd. refondue et mise à jour).
– Stébé (J.-M.) et Marchal (H.), La sociologie urbaine, Paris, PUF, 2014 (4e éd. refondue et mise à jour).
– Stébé (J.-M.) et Marchal (H.), Sociologie urbaine, Paris, A. Colin, 2010.
– Stébé (J.-M.) et Marchal (H.), Traité sur la ville, Paris, PUF, 2009.
– Wacquant (L.), Parias urbains, Paris, La Découverte, 2006.
– Wirth (L.), Le ghetto, Grenoble, PUG, 1980.
L’hypothèse de Henri Lefebvre, qui envisageait une urbanisation totale de la planète, se vérifie de plus en plus. En un siècle, le nombre de citadins au niveau planétaire a en effet été multiplié par douze. En 2009, pour la première fois de son histoire, la population mondiale est devenue majoritairement urbaine : plus de 3,4 milliards d’individus résident désormais dans une ville, soit plus de 50 % de la population mondiale. Chaque année, ces urbains sont rejoints par 60 millions d’autres, si bien qu’en 2030, ils seront environ 5 milliards. Nous entrons dans le « temps des villes » ou plutôt dans ce que H. Lefebvre appelait dès les années 1960 « l’urbain ».
I – Du rural à l’urbain
Selon H. Lefebvre, nous assistons depuis les années 1950 à une véritable « révolution urbaine », c’est-à-dire à toute une série de transformations traversant la société contemporaine : l’on passe de la période où les questions de croissance et d’industrialisation (modèle, planification, programmation) prédominent à la période où la problématique urbaine l’emportera définitivement, où la recherche des solutions et des modalités propres à la société urbaine (fonctionnement, gestion organisation… des villes entre autres) passera au premier plan.
Comment est-on passé, se demande le philosophe marxiste dans son ouvrage La révolution urbaine (Lefebvre, 1970, pp. 14-28), de l’absence d’urbanisation (la « pure nature », la terre livrée aux « éléments ») à l’accomplissement du processus urbain (de « l’urbain ») ? D’emblée Lefebvre situe à l’origine de l’histoire la ville politique, affirmant que celle-ci a accompagné ou suivi l’établissement d’une vie sociale organisée, de l’agriculture et du village, même s’il est bien conscient qu’aux alentours du « zéro initial » il n’existe ni regroupement des personnes et des activités, ni spécialisation des tâches, ni agglomération de maisons. La ville politique, peuplée essentiellement de prêtres, de guerriers, de princes, de nobles, de chefs militaires, d’administrateurs et de scribes, administre, protège et exploite un territoire souvent vaste. Ne se concevant pas sans l’écriture (documents, ordres, inventaires…), elle est tout entière ordre et ordonnance, pouvoir. Si l’échange et le commerce n’ont jamais été totalement absents de la ville politique, ne serait-ce que pour se procurer les matières nécessaires à la guerre, il est vrai qu’elle résistera longtemps aux forces du marché. Ce n’est en effet qu’à la fin du Moyen Âge que la marchandise, le marché et les marchands envahissent la ville. Se développe alors en Europe occidentale un nouveau type de ville : la ville marchande. C’est désormais l’échange qui organise les villes : l’échange commercial devient fonction urbaine, faisant surgir des formes (architecturales et urbanistiques), d’où l’émergence d’une nouvelle structure de l’espace urbain.
Au tournant du XVIe et du XVIIe siècle, au sein de l’Europe occidentale, se déroule un évènement majeur : la ville se montre de plus en plus et son poids devient plus important que celui de la campagne. « La ville n’apparaît plus et ne s’apparaît plus, nous dit H. Lefebvre, comme une île urbaine dans un océan campagnard ; elle ne s’apparaît plus comme paradoxe, monstre, enfer ou paradis, opposée à la nature villageoise ou campagnarde […]. Les gens du village ? Ils cessent de travailler, à leurs propres yeux, pour les seigneurs territoriaux. Ils produisent pour la ville, pour le marché urbain. » (Lefebvre, 1970, pp. 20-21)
Si la ville détenait déjà l’écriture – elle en possédait les secrets et les pouvoirs – et si elle opposait aussi l’urbanité (cultivée) à la rusticité (naïve et brutale), à partir de ce moment la ville développera la planimétrie. En effet, apparaissent en Europe les plans de ville, et notamment en Italie et en France. Ce ne sont pas encore des plans abstraits – projection de l’espace urbain dans un espace de coordonnées géométriques –, mais plutôt des plans combinant œuvre d’art et science, montrant la ville de haut et de loin, en perspective, à la fois peinte et représentée géométriquement. À la fois projection idéale et perspective réaliste, ces plans, qui se situent dans la dimension de la connaissance et de la raison, montrent bien un basculement de la réalité sociale vers l’urbain. Ce basculement de l’agraire vers l’urbain, lequel devient de plus en plus objectivé, représenté et donc conscientisé, précède de peu l’apparition de la ville industrielle.
Lefebvre se demande si l’industrie est liée à la ville. Selon lui, elle serait plutôt en connexion avec la « non-ville » ; en fait elle serait absence ou rupture de la réalité urbaine. On sait, nous dit-il, que l’industrie s’implante d’abord à proximité des sources d’énergie (charbon, eau), des matières premières (minerai, textile…) et des réserves de main-d’œuvre, et si elle se rapproche des villes, c’est pour se trouver au plus près « des capitaux et des capitalistes, des marchés et d’une abondante main-d’œuvre entretenue à bas prix. » (Lefebvre, 1970, p. 23) L’industrie peut donc s’implanter n’importe où, mais tôt ou tard gagne les villes pré-existantes, ou établit des villes nouvelles. Étrange mouvement fait remarquer le philosophe : la « non-ville » vient conquérir la ville, l’infiltrer, la faire exploser, et de ce fait l’étendre démesurément, générant l’urbanisation de la société.
La ville industrielle, que l’auteur définit comme « une ville informe, une agglomération à peine urbaine, un conglomérat, une « conurbation » » (Lefebvre, 1970, p. 24), annonce l’urbain, c’est-à-dire l’émergence de la « société urbaine », non pas seulement dans les pays riches et fortement industrialisés mais sur la totalité de la planète.
Lefebvre propose l’expression « l’urbain » (abréviation de « société urbaine ») à partir de la réalité présente de la ville, mais aussi à partir de la crise que connaît celle-ci, crise engendrée par l’extension massive de l’industrialisation. La ville traditionnelle – la ville politico-commerciale – éclate lorsque se développent de nouvelles réalités, comme la ville industrielle, et qu’il devient de plus en plus difficile de distinguer la ville de la campagne. L’industrie s’infiltre dans les interstices libres de la ville antérieure, s’implante un peu partout sur le territoire, et redessine le paysage. C’est ainsi que d’un double mouvement d’« implosion » (renforcement de la centralité) et d’« explosion » (diffusion illimitée des banlieues) émerge et émergera quelque chose de plus et de différent : l’urbain.
II – L’ère de l’urbain généralisé
Prenant acte de cette logique d’urbanisation structurelle et planétaire qui s’est accentuée durant le XXe siècle, un certain nombre d’auteurs (Ascher, 1995 ; Paquot, 2006 ; Lussault, 2007) voient moins un continuum entre rural et urbain qu’un processus d’encastrement du rural dans l’urbain, ce dernier étant devenu si hégémonique à l’échelle de la planète qu’il emporte tout sur son passage : le rural mais aussi la ville traditionnelle et historique délimitée par des frontières visibles et solides. Il en serait donc fini non seulement de la campagne en tant que telle mais aussi de la ville classique, qu’elle soit politique, marchande ou industrielle, dans laquelle on pouvait « entrer » et qui se trouve désormais intégrée dans des espaces discontinus, hétérogènes et multipolarisés. C’est ainsi que s’est accéléré ce mouvement structurel de « conurbation », terme forgé en 1915 par Patrick Geddes dans son ouvrage Cities in Evolution afin précisément de désigner ce processus qui voit les villes étendre toujours plus loin leur influence au-delà de leur périmètre d’origine.
L’avancée du front urbain
Nous vivons donc, notamment depuis les années post-1945, une grande transformation qui voit l’urbain s’imposer comme « fait social total », c’est-à-dire un fait qui a des conséquences sur la totalité de la société et de ses institutions. Mais que faut-il entendre par urbain au juste ? L’urbain, c’est l’extension des agglomérations sur des espaces auparavant identifiés au rural ; c’est le recul de la campagne face à des dynamiques économiques et sociales que rien ne semble pouvoir endiguer ; ce sont des champs ou des forêts qui se trouvent encerclés ou annihilés par des zones commerciales ou des quartiers pavillonnaires nouvellement créés. L’urbain, c’est aussi l’implantation récurrente et uniforme d’une ville à l’autre des mêmes chaînes d’hôtels, de jardineries ou encore de magasins de bricolages destinés en priorité aux habitants des quartiers pavillonnaires installés à la lisière des villes. La ville et la campagne y perdent leur identité, leur spécificité pour se trouver d’une façon ou d’une autre intégrés dans une même logique de fond, l’urbanisation, sorte de « nouveau Léviathan » qui semble décider du sort des sociétés actuelles (Marchal, Stébé, 2008). L’urbain enveloppe et intègre ce qui lui est étranger à travers une continuité du bâti qui assure de facto la jonction entre des espaces jusqu’alors clairement séparés (villes, villages, champs, forêts, rivières). De ce point de vue, la campagne est aujourd’hui intégrée dans cette urbanisation quasi continue. Les paysages ruraux deviennent des figures intérieures de l’organisation urbaine (Paquot, 2006 ; Lussault, 2009).
Mais l’urbain, c’est aussi la remise en cause de l’espace au profit du temps comme si la ville tout entière était en mouvement (Allemand et al., 2004). Aujourd’hui, on ne raisonne plus en nombre de kilomètres parcourus mais en temps passé dans les transports : on ne sait pas exactement quelle est la distance entre Paris et Marseille, mais on sait que cela correspond à 3 heures de TGV.
L’urbain c’est également la généralisation des NTIC qui permettent de communiquer avec le Monde, de relier simultanément des millions d’individus au quatre coins de la planéte, des campagnes profondes aux villes mondialisées.
L’urbain dissout la ville
Aussi est-il nécessaire sur un plan heuristique de bien distinguer la ville de l’urbain tant les référents classiques qui faisaient qu’une ville était une ville ont connu des mutations décisives sous la pression de l’urbain. Les villes sont remises en cause dans leurs frontières historiques pour s’étendre bien au-délà de leurs limites originelles et s’éparpiller dans un urbain diffus aux contours incertains. Il revient en France à Lefebvre, puis par la suite à l’urbaniste Françoise Choay (1994), d’avoir établi la distinction entre la ville et l’urbain. À la suite des analyses de Melvin Webber (1968), F. Choay affirme sans ambages notre entrée dans le « règne de l’urbain » (Choay, 1999). C’en est fini de la ville qui renvoyait à une certaine manière locale de vivre institutionnellement ensemble. Il apparaît en effet assez clair que, depuis les années 1960, la ville dense héritée de l’histoire facilement identifiable à partir de marqueurs physiques se dilue du fait de la mobilité des citadins. La congruence entre un centre-ville fonctionnel, une certaine morphologie du bâti – donnant à voir des constructions symboles au fondement de l’identité de telle ou telle ville – et des modes de vie spécifiques est très largement remise en cause.
La condition urbaine
Pour le géographe Michel Lussault (2009), la ville est morte et il est nécessaire d’en faire le deuil si l’on veut comprendre quelque chose à l’extraordinaire processus qui se déroule sous nos yeux depuis un demi-siècle. Parce que la planète compte désormais plus de citadins que de ruraux, notre monde change en profondeur. L’urbain devient même un « vecteur principal de la construction du monde. La mondialisation, c’est-à-dire l’institution du monde comme espace social d’échelle planétaire, se déploie par et pour l’urbanisation » (Lussault, 2009, p. 725). De façon plus précise, pour Lussault, qui s’inscrit ici dans le sillage de Lefebvre et de Choay, nous sommes entrés dans l’urbain généralisé.
Quoi qu’il en soit, une nouvelle « condition urbaine » est en train de se diffuser partout dans le monde (Mongin, 2005), corrélative de l’émergence d’un homo urbanus (Paquot, 1990) destiné à vivre au quotidien dans un cadre spatial traversé de flux et de mouvements hétéroclites (capitaux, rumeurs, langues…). Que la ville se fasse métapole, métropole, mégalopole, mégacité ou encore ville globale, s’opère en effet un même processus de fond à l’échelle planétaire où la ville historique se métamorphose et déborde de sa morphologie initiale pour progressivement acquérir une portée sinon mondiale, du moins nationale, et s’intégrer du même coup dans la compétition internationale.
III – L’urbain, le théâtre de fragmentations accentuées
Dès lors que l’on observe la société urbaine, force est de constater que les fragmentations sont devenues un élément omniprésent. Ces dernières relèvent tout à la fois d’un processus et d’un état de séparation spatiale marquée des groupes sociaux, qui se manifestent dans la formation d’aires caractérisées par une faible diversité sociale et des limites précises. Ces divisions spatiales se trouvent en outre renforcées par une légitimation sociale, pour une partie des individus au moins. C’est ainsi qu’à la suite de Peter Marcuse et Ronald Van Kempen (2002) et de Marie-Hélène Bacqué et Jean-Pierre Lévy (2009), il est possible aujourd’hui d’identifier dans la ville post-industrielles huit types d’espaces : 1/ les « citadelles », sortes d’îlots postmodernes à forte densité, situés en centre-ville, qui accueillent les « élites cinétiques » ; 2/ les quartiers gentrifiés des centres-villes investis par les « bobos » ; 3/ les gated communities se caractérisant par un enfermement hautement sécurisé ; 4/ les edge cities correspondant à des entités urbaines autonomes situées à la périphérie des villes et qui regroupent en fait les sièges sociaux des entreprises situés auparavant en centre-ville ; 5/ les enclaves ethniques et les bidonvillisées ; 6/ le « ghetto » se distinguant par une importante pauvreté, une discrimination raciale forte et ancienne, ainsi que par l’absence de politiques publiques ; 7/ les quartiers bourgeois historiques ; 8/ les zones de lotissements pavillonnaires situées à la périphéries des villes.
Ce modèle théorique condense l’ensemble des réalités ségrégatives observées à travers l’urbain généralisé. Mais parce que cette typologie est idéal-typique, et donc quelque peu abstraite, elle ne se retrouve que très rarement en tant que telle dans la réalité concrète. Aussi est-il nécessaire, afin d’éviter tout substantialisme, de ne pas décrire la ville dans sa globalité comme une juxtaposition de territoires plus ou moins repliés sur eux-mêmes et de réduire la vie urbaine à des oppositions grossières faisant de la ville un espace divisé exclusivement entre des quartiers aisés d’un côté et des quartiers populaires de l’autre. Il semble effectivement qu’il faille prendre acte de toutes les situations résidentielles intermédiaires – précisément constitutives du continuum socio-spatial – qui existent entre les zones les plus privilégiées et les plus paupérisées.
Cela étant dit, la fragmentation peut être identifiée si l’on resserre la focale sur les deux extrémités du continuum qui s’apparente plus en réalité à un dégradé. En effet, dans les villes européennes, il est possible de repérer des formes de séparatisme qui relèvent davantage de la fragmentation urbaine que de la ségrégation, étant donné qu’elles remettent en cause la ville post-fordiste en tant qu’entité cohérente. À l’instar de Jacques Donzelot (2004), cela revient à dire que la ville ne fait plus société, et qu’à ce titre elle se fragmente à travers trois dynamiques urbaines qui s’incarnent dans trois types d’espaces : la relégation des Zones urbaines sensibles (ZUS) ; la périurbanisation relatives aux quartiers pavillonnaires ; la gentrification des quartiers anciens des centres-villes. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la situation des villes françaises, même si nous nous arrêterons de temps en temps sur des contextes urbains étrangers.